mercredi 8 mai 2013

Passage Choiseul

Le Passage Choiseul dans le IIè arrondissement de Paris fut terminé en 1827. Il est aujourd'hui en semi-abandon, il vivote. Ouvert de neuf à vingt heures, voilà tout.

Au pic de son activité, il était rempli de magasins et de logements, et surtout, entre les deux Expositions Universelles, un petit jeunot y demeura avec ses parents commerçants. Le petit Louis-Ferdinand Destouches devait se souvenir de ce qu'il y avait vu, de la misère humaine et de l'envers du décor du Paris de la Belle Epoque. Dans Mort à Crédit, c'est rebaptisé "Passage des Bérésinas", et à en croire son verbe bondissant et obscène, cette petite rue couverte condensait à elle seule toute la bassesse, la pauvreté cachée et la saleté qui présidait en ces temps clinquants en façade.

Apocalypse Demain - Dr Gonzo




Les mots de Céline sont si pleins de bruit et de fureur qu'ils se passent de tout commentaire. Suffit de lire ; ça peut vous rester sur l'estomac quand on a pas l'habitude, mais rapidement on s'habitue, et on se délecte. Ca a des airs de revenez-y, cette plongée en enfer, avec force détails répugnants, scatologiques...Et en prime, on trouve toujours au milieu des saillies délirantes, ces pépites, des traits de plume définitifs qui volent haut, si haut, comme pour tenir la fange à distance le temps d'une phrase...

« Il faut avouer que le Passage, c’est pas croyable comme croupissure. C’est fait pour qu’on crève, lentement mais à coup sûr, entre l’urine des petits clebs, la crotte, les glaviots, le gaz qui fuit. C’est plus infect qu’un dedans de prison. Sous le vitrail, en bas, le soleil arrive si moche qu’on l’éclipse avec une bougie. Tout le monde s’est mis à suffoquer. Le Passage devenait conscient de son ignoble asphyxie !...On ne parlait plus que de campagnes, de monts, de vallées, de merveilles… »

Apocalypse Demain - Dr GonzoApocalypse Demain - Dr Gonzo

« Fallait se méfier du vol et de la casse, les rogatons c’est fragile. J’ai défiguré sans le faire exprès des tonnes de camelote. L’antique ça m’écœure encore, c’est de ça pourtant qu’on bouffait. C’est triste les raclures du temps…C’est infect, c’est moche. »

« Papa, il en dormait plus. Son cauchemar c’était le nettoyage du carré devant notre boutique, les dalles qu’il fallait qu’il rince tous les matins avant de partir au bureau.
Il sortait avec son seau, son balai, sa toile et en plus la petite truelle qui servait pour les étrons, à glisser dessous, les faire sauter dans la sciure. C’était la pire avanie pour un homme de son instruction. Des étrons, il en venait toujours davantage, et bien plus devant chez nous qu’ailleurs, en large comme en long. C’était sûrement un complot. »
 
Apocalypse Demain - Dr Gonzo

« Soudain, [au Passage], on a découvert que tout le monde était « pâlot ». On se refilait des conseils entre boutiques et magasins. On ne pensait plus que par microbes et aux désastres de l’infection. Les mômes ils l’ont sentie passer la sollicitude des familles. Il a fallu qu’ils se la tapent, l’Huile de Foie de Morue, renforcée, à redoublements, par bonbonnes et par citernes. Franchement ça faisait pas grand-chose…Ça leur donnait des renvois. Ils en devenaient encore plus verts, déjà qu’ils tenaient pas en l’air, l’huile leur coupait toute la faim. »

Apocalypse Demain - Dr Gonzo
Marionnettes flippantes semblant avertir d'un danger qui rôde




Apocalypse Demain - Dr Gonzo
Avant des becs de gaz, maintenant lampions façon fête foraine

« Souvent, j’en croise, des indignés qui [la] ramènent…C’est que des pauvres culs coincés…Des petits potes, des ratés jouisseurs…C’est de la révolte d’enfiltré…C’est pas payé, c’est gratuit…Des vraies godilles…
Ça vient de nulle part…Du lycée, peut-être…C’est de la parlouille, c’est du vent. La vraie haine, elle vient du fond, elle vient de la jeunesse, perdue au boulot sans défense. Alors celle-là qu’on en crève. Y aura encore si profond qu’il en restera tout de même partout. Il en jutera assez pour qu’elle empoisonne, qu’il pousse plus dessous que des vacheries, entre des morts, entre les hommes. »

Louis-Ferdinand Céline - Mort à Crédit - 1936

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