mercredi 27 novembre 2013
Plombant
La journée commence parfois ainsi, le soleil d'hiver dore la campagne de sa lumière rasante, les pieds de vigne semblent dégouliner d'or fondu.
Tout brille, la rosée étincelle, la brume se dégage et on se met à chantonner avec les rouge-gorges pour célébrer la beauté de la nature, la joie simple de l'harmonie des couleurs, la frondaison des quelques arbres de ce petit bosquet mignon, la coquetterie du petit village en contrebas, nichée dans la vallée.
On se met éventuellement à faire des claquettes, on embrasse un papillon qui passe. L'existence paraît simple, ses joies infinies.
On atteint finalement la chapelle croquignolette perdue au milieu des cépages de pinot noir, on s'approche de la petite grille...
Et voilà comment on plombe une journée.
Y a pas à dire, la formule est bien sentie. On ne l'oublie pas facilement, ça a la force du slogan publicitaire. Alors pour se sentir moins seul, on tente de partager sa dépression avec le papillon, mais bien sûr...il s'en fout. Il ne sait même pas ce qu'est un crâne.
Même Séguéla ne l'aurait pas trouvé.
dimanche 27 octobre 2013
Sunday Mourning
Un dimanche matin gris suspendu au dessus des rails du train, à Paris.
Rythmes et symétrie, lignes parallèles et angles
![]() |
Portrait of the artist as a young train |
samedi 12 octobre 2013
Moisson
"See the lonely boy,
Out on the weekend
Trying to make it pay.
Can't relate to joy,
He tries to speak and
Can't begin to say."
Out on the weekend
Trying to make it pay.
Can't relate to joy,
He tries to speak and
Can't begin to say."
Neil Young
"Out on the Weekend"
Harvest
Quel autre disque évoque autant les fins d'été et le soleil qui coule du ciel comme du miel ?
mardi 1 octobre 2013
Bret Easton Ellis et Elvis Costello
A part Huey Lewis And The News ou, peut-être, les pires
heures de Phil Collins, aucun artiste n’évoque autant les pages cocaïnées de
Bret Easton Ellis qu’Elvis Costello, en particulier l’album This Year’s
Model.
Et pourtant.
Et pourtant, à part ce brûlot
new-yorkais, vraie plongée en apnée dans le délire eighties superficiel et
artificiel (sauf qu’on est en 1978), l’homme, le vénérable troubadour irlandais
Declan Patrick MacManus, est ce chanteur désormais porté sur la pop à
cordes et les arrangements de ménestrels. Avec sa tête de Bono sans la
cortizone et sans les lunettes de sprinteur sud-africain, c’est un artiste
britannique respectable ; tout juste si on se rappelle d’un premier album
pub-rock, My Aim Is True, bijou garage où on trouve des chansons
rauques et brutes comme « Blame It On Cain » ou « Sneaky
Feelings ». Ce premier disque recèle aussi du riff plus syncopé proche du
reggae comme « Watching The Detectives », on a de la satire sociale
comme « Welcome To The Working Week ». Bref, à tous points de vue, nous
sommes dans du punk, et d’ailleurs, il était temps, on est en 1977.
Apocalypse à L.A. Redondo Beach |
Un an plus tard, on retrouve le
moqueur scribouillard des médiocrités contemporaines en plein New-York avec un
groupe de barjots, les Attractions. La bande se met alors à rejouer la belle
histoire de Dylan et de ses Hawks, les derniers soutenant merveilleusement la
verve du second, les paroles tranchantes comme un coup de stylet dans une
impasse sombre de Manhattan. Guitares effilées, caisse claire à fond, et des orgues
clignotants pour emballer le tout dans un paquet de néons et d’éblouissements
de coco. Par-dessus ce tapis de diamants en plastoc bariolé, Elvis, avec son
look de Buddy Holly d’Apocalypse, crache sur tout ce qui l’entoure dans la
Grosse Pomme avec le flow de Zimmerman dix ans après et les rimes de Public Enemy dix ans avant. Tout ceci est
misanthrope, misogyne, dédaigneux, enragé, et dansant à mort. Les victimes de
ses sarcasmes deviendront aussi ses plus grands fans, sûrement parce qu’ils
croient à de l’ironie : les filles trop belles qui l’ignorent, les mecs
populaires qui cassaient ses binocles géantes, les faiseurs de gloire…
Deal With It.
Dans Less Than Zero,
le premier roman de Bret Easton Ellis, tous les personnages ont l’affiche d’un
des concerts de Costello dans sa chambre. Dans leur vie, il y a lui et Frankie
Goes To Hollywood. Ils vivent à L.A., sont bronzés, drogués d’ennui et de
Prozac, font de la muscu à longueur de journée, couchent avec tout le monde
mais surtout avec leurs égos.
Beach Volley à Redondo Beach |
“We're all going on a summer holiday
Vigilantes coming out to follow me
Heard somebody say they're out to collar me
Anybody want to swallow me?
It takes two to tumble, it takes two to tango
Speak up--don't mumble if you're in the combo
On the beat, on the beat
Till a man comes along and he says
"Have you been a good boy, never played
with your toy?
Though you never enjoy, such pleasure to employ
See your friends in the state they're in
See your friends getting under their skin
See your friends getting taken in”
“The Beat”
Et ce vers, qui claque comme un
fouet dans la même chanson ?
« I don’t wanna be your lover, just wanna be your victim »
Bien sûr, l’Everest californien
de l’album est “Pump It Up” qui traite au choix du blowjob effréné à l’arrière
d’une Porsche payée par papa et maman pour le “sweet sixteen” d’une petite
fille gâtée, ou bien de la coke qui se présente aux soirées dans des bols et
qui se prend à la paille.
“Out in the fashion show,
Down in the bargain bin,
You put your passion out
Under the pressure pin.
Fall into submission,
Hit-and-run transmission.
No use wishing now for any other sin.
Pump it up until you can feel it.
Pump it up when you don't really need it.”
“Pump It Up”
Ray-Ban Wayfarer et filtre Cokin, bord de piscine |
Les Ray-Ban Wayfarer, les
piscines bleu azur, les centres commerciaux géants égrenés au gré des freeways,
le shopping de Rodeo Drive sur fond de muzak…
Les gazons toujours verts, les
dents blanches qui contrastent parfaitement avec les pectoraux noircis à l’autobronzant…
Les soirées imbibées d’alcool
et de pilules et les quadragénaires pathétiques qui rajeunissent pour oublier
leur troisième divorce, le père qui couche avec le petit ami de sa fille…
« This Year’s Model »
évoque tout cela.
« ‘Did you ever care of me?’ She asks
again. ‘- I don’t want to care. If I care about things, it’ll just worse, it’ll
just be another thing to worry about. It’s less painful if I don’t care.’ »
Dialogue éloquent d’envie de
vivre, tiré de Less Than Zero. Le titre du premier roman de Bret
Easton Ellis est aussi le titre du premier single d’Elvis Costello en 1977, et
c’est certainement une coïncidence.
dimanche 15 septembre 2013
Après l'Apocalypse
Apocalypse, Révélation...
Après la fin du monde, l'inutile reprend ses droits, ce qui était invisible se révèle. Les remontées mécaniques sont la nouvelle dentelle sur les cîmes.
Après l'apocalypse, la lune reprend du service et le survivant soudain se rappelle de cette lumière corrompue que les réverbères avaient reléguée dans le caniveau.
Après la fin du monde, l'inutile reprend ses droits, ce qui était invisible se révèle. Les remontées mécaniques sont la nouvelle dentelle sur les cîmes.
Après l'apocalypse, la lune reprend du service et le survivant soudain se rappelle de cette lumière corrompue que les réverbères avaient reléguée dans le caniveau.
vendredi 6 septembre 2013
Dans le musée du Vingtième Siècle
Ce texte a également été publié dans le Courrier de l'Architecte du 19/03/2014.
Vous pouvez y accéder en cliquant au lien suivant : "Le mystère de la chambre blindée ou l'étonnant musée du XXè siècle"
Vous pouvez y accéder en cliquant au lien suivant : "Le mystère de la chambre blindée ou l'étonnant musée du XXè siècle"
Sur tous les plans d’archives,
c’est une grande tache indistincte, qui diffère des zones de terre-plein par un
hachurage légèrement plus espacé. Mais à part cette subtilité dans la légende,
rien n’indique la nature de ces quelques centaines de mètres carrés enterrées
en plein Paris, coincée entre une voie d’accès à une dépose-minute et des zones
de vestiaires à l’usage des cheminots de la SNCF. Un tel mystère est forcément
de nature à éveiller la curiosité du premier fouineur venu :
tombeau ? Poche de pétrole affleurante ? Siège d’une société
secrète ? On a lu Blake et Mortimer, et à l’évocation d’un sous-sol
parisien secret, on se prend à imaginer un complot, un trésor faramineux, un
colonel Olrik tapi là en bas avec ses dangereux hommes de main…
Quelques coups de téléphone,
quelques e-mails, permettent de tempérer les ardeurs de notre imagination
échaudée par les interprétations du plan : tout le monde est déjà au
courant qu’il s’agit d’un bunker allemand, un abri plus précisément, construit
entre 1940 et 1944 par l’occupant. A la lumière de cette information, on
comprend mieux l’utilité des parois périphériques d’1.26m d’épaisseur : le
lieu est une coquille de noix, étanche, blindée, qui doit résister à toute
attaque, grenade, roquette, bombardement…Tout cela pour continuer d’exploiter
le réseau ferré même en cas d’assaut.
Promotions sur le tétanos
Autour de ce genre
d’infrastructure parisienne, gravitent des nuées de personnes qui la font
vivre : personnel de maintenance, agents d’exploitation, employés, agents
en transit, entreprises de construction, architectes, économistes qui ont
contribué à sa rénovation, sa conservation et sa valorisation depuis des
dizaines d’années. Ainsi, ils sont des centaines à connaître l’organisation de
la fourmilière ; pourtant, la recherche du Graal, la clé qui permettrait
de pénétrer cet étrange vaisseau de béton verrouillé et inaccessible, durera
plus de trois ans.
Même les rois de l’outre-monde,
la fine fleur cataphile, pourtant capable de s’orienter les yeux fermés dans
les galeries de calcaire, égouts et autres chatières, même ces gardiens du
temple souterrain de la capitale haussèrent les épaules, gênés. Ils ne
connaissaient pas l’entrée ! Mais, enfin, après une interminable quête, je
dénichai le hobbit qui gardait jalousement la clé magique autour de son cou, en
pendentif. On entre dans ce bunker via un petit local tout bête, tout vitré. De
manière très ironique, cette antichambre à l’atmosphère saturée de poussière,
sentant le renfermé, comme un prélude à l’air que l’on respirera dans le ventre
de la bête, est un bureau du CHSCT. Les gendarmes de la santé au travail n’ont
pas dû se pencher sur les conditions d’hygiène qui règnent de l’autre côté de
la porte.
La première porte blindée est
lourde. C’est l’entrée du sas. La seconde porte d’acier semble inamovible, elle
est même munie d’un volant de déverrouillage, mais heureusement elle est déjà
grande ouverte. L’excitation nous gagne, en réponse au silence et à
l’immobilité de l’intérieur : c’est un sanctuaire de calme au beau milieu
du temple du mouvement perpétuel. C’est une grande poche de vide au cœur du
terrain de jeu favori de spéculateurs immobiliers à la recherche du moindre
mètre carré inutilisé. Ce qu’ils penseraient s’ils voyaient tout ce
potentiel… « Quelle hérésie, on
pourrait retaper tout ça en piscine branchée, en night-club décadent ! Les
candidats à la Mairie de Paris veulent transformer les stations de métro
abandonnées en salles de spectacle pour monétiser les espaces vides, alors
pourquoi pas leur souffler l’idée d’une galerie marchande dans ce bunker, où on
organiserait des ventes privées ? Ou mieux : un simple tapis rouge
dans la circulation principale et le clou (rouillé) de la Fashion Week est tout
trouvé ! »
Lumière timide dans le Labyrinthe de Pan
Après tout, pourquoi les plus
brillants urbanistes promoteurs et designers fondent tels des rapaces sur la
rédaction d’un journal pour la revaloriser en lieu de culture branché, alors
que de jolies blockhaus les attendent, calmes et froids ?
La hantise de la parcelle vide,
c’est un des principaux travers des villes modernes et la conséquence de
l’obsession de la compacité comme l’ultime parade urbanistique à tous les maux
modernes : optimisation des consommations d’énergie, densité des
transports, augmentation des échanges et de la communication, diminution des
coûts de fonctionnement de la cité, réduction théorique de l’isolement des
personnes ; certes, mais en contrepartie, on ne trouve guère que Berlin
pour oser conserver de vastes friches et des espaces « encore à
construire ». Du repos pour l’œil, de la stimulation intellectuelle pour
ces pages blanches où tout est possible…A Paris, c’est finalement sous terre
qu’on peut déboutonner son col et respirer un peu.
Pour parachever la liste de
contrastes, la température du bunker avoisine les quinze degrés en permanence,
insensible aux hivers et aux étés ; la première impression est que ce
bâtiment, enfilade interminable de couloirs desservant des pièces désormais
inoccupées, est déconnecté du monde qui l’entoure. Le blockhaus ne voit jamais
le jour et seuls les champignons, spores, moisissures, peuvent
proliférer : ils ne s’en privent pas. Entre les murailles de béton
lourdement armé, le wifi ne passe pas : on ne s’en prive pas non plus. Les
rats doivent aussi y trouver un refuge confortable pour dormir, digérer, pourrir,
mais les cafards ont déserté depuis que la nourriture s’est faite trop rare.
Ils auraient tort de tourner en rond dans ce sarcophage de béton alors qu’ils
peuvent, par les réseaux de caves, accéder en moins d’une demi-heure aux
cuisines de tel ou tel restaurant étoilé.
Volants permettant de basculer du circuit d'air normal au circuit fermé en cas d'attaque chimique. Enfilades de boîtes à papier.
En résumé, cette poche
souterraine est l’anti-bulle immobilière. Le temps est figé, le XXIè siècle
n’existe pas encore et le XIXè est trop lointain. On y respire l’air
desséché d’il y a soixante ans. En aspirant difficilement l’âcre atmosphère du
lieu, on se rappelle fugacement, avec une pointe d’angoisse, de ces
explorateurs qui libérèrent des virus de l’Antiquité quand ils découvrirent ces
tombaux égyptiens scellés depuis des siècles. Ce sentiment totalement subjectif
de voyage dans le temps va se conforter à l’avancement de la visite, au fur et
à mesure de la progression dans le boyau en ruine…
Au cours des années, le bunker a
eu mille usages, comme des strates géologiques du siècle passé. Il a d’abord
servi de lieu de repli allemand pendant l’Occupation. Les interdictions de
fumer peintes à la main de style gothique, le petit vélo générateur d’énergie
l’attestent ; l’antiquité des toilettes et les anciens fils électriques
gainés de coton également. Après la libération, les services administratifs trouvèrent
dans ces enfilades de couloirs aux symétries hautement esthétiques un espace
illimité de stockage d’archives. Dans chaque alcôve latérale, des cartons de
papiers désormais inutiles dorment, soigneusement classés par des étiquettes
calligraphiées à la plume. Partout, les cellules sont desservies par des
réseaux de ventilation recoupés par des volants, stigmates de l’usage précédent
des locaux. Le lieu a aussi certainement servi de squat occasionnel, à en juger
par les (rares) emballages vides ; chacun des usages successifs se vérifie
par des inscriptions, des objets. On se prend à imaginer un musée d’un genre
nouveau, où on exposerait aux visiteurs des reliques, des références, divers
artefacts de différentes époques entremêlés. Ici, les enfilades de rayonnages
d’archives des années 50, séparées par des portes hermétiques blindées. Des
panneaux en allemand interdisent l’usage de la flamme nue pour s’éclairer en
raison des munitions qui furent un jour entreposées, et la seule issue de
secours a été comblée en 1990 par une épaisseur très généreuse de remblai suite
au creusement d’une rue souterraine. Enfin, derrière des barreaux délimitant
une cellule, si dévorés par la rouille qu’ils font plus penser à un
mille-feuille effrité qu’à du fer forgé, des cadavres de bouteilles de vin
« de prestige » (comprendre : « de clochard »), un
téléphone gris à cadran décroché, et un « France-Dimanche » de 1988
ouvert sur des potins relatant des frasques frelatées d’Arielle Dombasle et
Cookie Dingler, posés sur une table depuis vingt-cinq ans, composent une nature
morte So Eighties.
Au fond du couloir infini, juste
avant l’issue condamnée, se trouve une salle bien trop vaste, inutilisée, dont
l’usage passé reste inconnu. Des bouches de ventilation y pendent comme des guirlandes
de l’âge de fer, insolites et dérangeantes.
Armoire électrique d'un autre âge. Etiquettes d'archives calligraphiées
![]() |
cathédrale avec réseaux de ventilation comme des guirlandes |
A la fin de la visite, on referme
la lourde porte sur la caverne de béton armé. Pendant une demi-heure, le ventre
de la bête aura vu la lumière et respiré un air un peu plus frais. Désormais,
la poussière remuée va retomber et tout restera figé jusqu’au prochain
visiteur, dans deux, six mois, un an…Peut-être aurions-dû, nous aussi, laisser
une trace de notre étrange époque pour cet étrange musée pétrifié ? Un
hors-série de Grazzia sur les tendances hiver 2013-2014, une manette de
PlayStation ? Le scalp iroquois de Miley Cyrus ?
En se confrontant à ces murs
râpés, à ce vestige violent de temps troublés auquel des indigents anonymes ont
laissé leur témoignage, on comprend qu’au jeu des comparaisons de choses vues,
les murs qui nous oppressent feraient tomber en poussière les fières façades
haussmanniennes qui se pavanent avec pignon sur rue huit mètres plus haut. Et
une fois revenu à la surface, on se dit que sous les pavés d’une ville
généralement attachée à effacer toute marque de modernité, il existe encore une
trace, un véritable musée conceptuel du XXè siècle.
Porte. Détail. |
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