mardi 1 octobre 2013

Bret Easton Ellis et Elvis Costello




A part Huey Lewis And The News ou, peut-être, les pires heures de Phil Collins, aucun artiste n’évoque autant les pages cocaïnées de Bret Easton Ellis qu’Elvis Costello, en particulier l’album This Year’s Model.

Et pourtant.

Et pourtant, à part ce brûlot new-yorkais, vraie plongée en apnée dans le délire eighties superficiel et artificiel (sauf qu’on est en 1978), l’homme, le vénérable troubadour irlandais Declan Patrick MacManus, est ce chanteur désormais porté sur la pop à cordes et les arrangements de ménestrels. Avec sa tête de Bono sans la cortizone et sans les lunettes de sprinteur sud-africain, c’est un artiste britannique respectable ; tout juste si on se rappelle d’un premier album pub-rock, My Aim Is True, bijou garage où on trouve des chansons rauques et brutes comme « Blame It On Cain » ou « Sneaky Feelings ». Ce premier disque recèle aussi du riff plus syncopé proche du reggae comme « Watching The Detectives », on a de la satire sociale comme « Welcome To The Working Week ». Bref, à tous points de vue, nous sommes dans du punk, et d’ailleurs, il était temps, on est en 1977.

Redondo Beach Los Angeles
Apocalypse à L.A. Redondo Beach

Un an plus tard, on retrouve le moqueur scribouillard des médiocrités contemporaines en plein New-York avec un groupe de barjots, les Attractions. La bande se met alors à rejouer la belle histoire de Dylan et de ses Hawks, les derniers soutenant merveilleusement la verve du second, les paroles tranchantes comme un coup de stylet dans une impasse sombre de Manhattan. Guitares effilées, caisse claire à fond, et des orgues clignotants pour emballer le tout dans un paquet de néons et d’éblouissements de coco. Par-dessus ce tapis de diamants en plastoc bariolé, Elvis, avec son look de Buddy Holly d’Apocalypse, crache sur tout ce qui l’entoure dans la Grosse Pomme avec le flow de Zimmerman dix ans après et les rimes  de Public Enemy dix ans avant. Tout ceci est misanthrope, misogyne, dédaigneux, enragé, et dansant à mort. Les victimes de ses sarcasmes deviendront aussi ses plus grands fans, sûrement parce qu’ils croient à de l’ironie : les filles trop belles qui l’ignorent, les mecs populaires qui cassaient ses binocles géantes, les faiseurs de gloire…


Deal With It

Dans Less Than Zero, le premier roman de Bret Easton Ellis, tous les personnages ont l’affiche d’un des concerts de Costello dans sa chambre. Dans leur vie, il y a lui et Frankie Goes To Hollywood. Ils vivent à L.A., sont bronzés, drogués d’ennui et de Prozac, font de la muscu à longueur de journée, couchent avec tout le monde mais surtout avec leurs égos.
 
Apocalypse Demain Beach Volley Los Angeles redondo Beach
Beach Volley à Redondo Beach

“We're all going on a summer holiday
Vigilantes coming out to follow me
Heard somebody say they're out to collar me
Anybody want to swallow me?
It takes two to tumble, it takes two to tango
Speak up--don't mumble if you're in the combo
On the beat, on the beat
Till a man comes along and he says
"Have you been a good boy, never played with your toy?
Though you never enjoy, such pleasure to employ
See your friends in the state they're in
See your friends getting under their skin
See your friends getting taken in”

“The Beat”

Et ce vers, qui claque comme un fouet dans la même chanson ?
 « I don’t wanna be your lover, just wanna be your victim »

Bien sûr, l’Everest californien de l’album est “Pump It Up” qui traite au choix du blowjob effréné à l’arrière d’une Porsche payée par papa et maman pour le “sweet sixteen” d’une petite fille gâtée, ou bien de la coke qui se présente aux soirées dans des bols et qui se prend à la paille.

“Out in the fashion show,
Down in the bargain bin,
You put your passion out
Under the pressure pin.
Fall into submission,
Hit-and-run transmission.
No use wishing now for any other sin.

Pump it up until you can feel it.
Pump it up when you don't really need it.”

“Pump It Up”

Rayban Wayfarer Piscine Los Angeles Elvis Costello Bret Easton Ellis
Ray-Ban Wayfarer et filtre Cokin, bord de piscine

Les Ray-Ban Wayfarer, les piscines bleu azur, les centres commerciaux géants égrenés au gré des freeways, le shopping de Rodeo Drive sur fond de muzak…
Les gazons toujours verts, les dents blanches qui contrastent parfaitement avec les pectoraux noircis à l’autobronzant…
Les soirées imbibées d’alcool et de pilules et les quadragénaires pathétiques qui rajeunissent pour oublier leur troisième divorce, le père qui couche avec le petit ami de sa fille…

« This Year’s Model » évoque tout cela.
 


Blurred young people Sea Beach Bret Easton Ellis Elvis CostelloBlurred young people Sea Beach Bret Easton Ellis Elvis Costello

« ‘Did you ever care of me?’ She asks again. ‘- I don’t want to care. If I care about things, it’ll just worse, it’ll just be another thing to worry about. It’s less painful if I don’t care.’ »

Dialogue éloquent d’envie de vivre, tiré de Less Than Zero. Le titre du premier roman de Bret Easton Ellis est aussi le titre du premier single d’Elvis Costello en 1977, et c’est certainement une coïncidence.

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