A part Huey Lewis And The News ou, peut-être, les pires
heures de Phil Collins, aucun artiste n’évoque autant les pages cocaïnées de
Bret Easton Ellis qu’Elvis Costello, en particulier l’album This Year’s
Model.
Et pourtant.
Et pourtant, à part ce brûlot
new-yorkais, vraie plongée en apnée dans le délire eighties superficiel et
artificiel (sauf qu’on est en 1978), l’homme, le vénérable troubadour irlandais
Declan Patrick MacManus, est ce chanteur désormais porté sur la pop à
cordes et les arrangements de ménestrels. Avec sa tête de Bono sans la
cortizone et sans les lunettes de sprinteur sud-africain, c’est un artiste
britannique respectable ; tout juste si on se rappelle d’un premier album
pub-rock, My Aim Is True, bijou garage où on trouve des chansons
rauques et brutes comme « Blame It On Cain » ou « Sneaky
Feelings ». Ce premier disque recèle aussi du riff plus syncopé proche du
reggae comme « Watching The Detectives », on a de la satire sociale
comme « Welcome To The Working Week ». Bref, à tous points de vue, nous
sommes dans du punk, et d’ailleurs, il était temps, on est en 1977.
Apocalypse à L.A. Redondo Beach |
Un an plus tard, on retrouve le
moqueur scribouillard des médiocrités contemporaines en plein New-York avec un
groupe de barjots, les Attractions. La bande se met alors à rejouer la belle
histoire de Dylan et de ses Hawks, les derniers soutenant merveilleusement la
verve du second, les paroles tranchantes comme un coup de stylet dans une
impasse sombre de Manhattan. Guitares effilées, caisse claire à fond, et des orgues
clignotants pour emballer le tout dans un paquet de néons et d’éblouissements
de coco. Par-dessus ce tapis de diamants en plastoc bariolé, Elvis, avec son
look de Buddy Holly d’Apocalypse, crache sur tout ce qui l’entoure dans la
Grosse Pomme avec le flow de Zimmerman dix ans après et les rimes de Public Enemy dix ans avant. Tout ceci est
misanthrope, misogyne, dédaigneux, enragé, et dansant à mort. Les victimes de
ses sarcasmes deviendront aussi ses plus grands fans, sûrement parce qu’ils
croient à de l’ironie : les filles trop belles qui l’ignorent, les mecs
populaires qui cassaient ses binocles géantes, les faiseurs de gloire…
Deal With It.
Dans Less Than Zero,
le premier roman de Bret Easton Ellis, tous les personnages ont l’affiche d’un
des concerts de Costello dans sa chambre. Dans leur vie, il y a lui et Frankie
Goes To Hollywood. Ils vivent à L.A., sont bronzés, drogués d’ennui et de
Prozac, font de la muscu à longueur de journée, couchent avec tout le monde
mais surtout avec leurs égos.
Beach Volley à Redondo Beach |
“We're all going on a summer holiday
Vigilantes coming out to follow me
Heard somebody say they're out to collar me
Anybody want to swallow me?
It takes two to tumble, it takes two to tango
Speak up--don't mumble if you're in the combo
On the beat, on the beat
Till a man comes along and he says
"Have you been a good boy, never played
with your toy?
Though you never enjoy, such pleasure to employ
See your friends in the state they're in
See your friends getting under their skin
See your friends getting taken in”
“The Beat”
Et ce vers, qui claque comme un
fouet dans la même chanson ?
« I don’t wanna be your lover, just wanna be your victim »
Bien sûr, l’Everest californien
de l’album est “Pump It Up” qui traite au choix du blowjob effréné à l’arrière
d’une Porsche payée par papa et maman pour le “sweet sixteen” d’une petite
fille gâtée, ou bien de la coke qui se présente aux soirées dans des bols et
qui se prend à la paille.
“Out in the fashion show,
Down in the bargain bin,
You put your passion out
Under the pressure pin.
Fall into submission,
Hit-and-run transmission.
No use wishing now for any other sin.
Pump it up until you can feel it.
Pump it up when you don't really need it.”
“Pump It Up”
Ray-Ban Wayfarer et filtre Cokin, bord de piscine |
Les Ray-Ban Wayfarer, les
piscines bleu azur, les centres commerciaux géants égrenés au gré des freeways,
le shopping de Rodeo Drive sur fond de muzak…
Les gazons toujours verts, les
dents blanches qui contrastent parfaitement avec les pectoraux noircis à l’autobronzant…
Les soirées imbibées d’alcool
et de pilules et les quadragénaires pathétiques qui rajeunissent pour oublier
leur troisième divorce, le père qui couche avec le petit ami de sa fille…
« This Year’s Model »
évoque tout cela.
« ‘Did you ever care of me?’ She asks
again. ‘- I don’t want to care. If I care about things, it’ll just worse, it’ll
just be another thing to worry about. It’s less painful if I don’t care.’ »
Dialogue éloquent d’envie de
vivre, tiré de Less Than Zero. Le titre du premier roman de Bret
Easton Ellis est aussi le titre du premier single d’Elvis Costello en 1977, et
c’est certainement une coïncidence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire